Depuis 1993, les chercheurs du Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ) se joignent afin d’étudier les changements sociaux et culturels au Québec.
Après les grands thèmes du « changement social et culturel » (2004-2011 et 2011-2017) et des « trajectoires et transmissions » (2017-2024), le CIEQ entend se positionner de manière avantageuse en adoptant une programmation intitulée Capitaux matériels, capitaux culturels : production, circulation et discours » (2024-2030). Elle est en mesure de fédérer efficacement les efforts de nos membres, de manière à la fois logique et souple, et de générer des gains importants en termes de savoirs, de réflexivité et d’avancées numériques, tout en permettant à l’équipe de demeurer fidèle à certaines exigences scientifiques qui ont fait sa renommée. Parmi ces exigences, on compte la conduite de recherches basées sur de vastes et probants corpus de données empiriques, la réunion et l’interrogation croisée de disciplines différentes (histoire, géographie, démographie, sociologie, architecture, etc.) à propos d’objets communs (la famille, l’État, etc.) de même que la pérennisation et le transfert des connaissances produites vers de plus larges publics.
La principale question de recherche qui va fédérer les efforts de nos chercheurs durant le prochain cycle subventionnaire va comme suit : depuis les débuts de la Nouvelle-France jusqu’au temps présent, quelles formes changeantes revêtent la production et la circulation de différents capitaux sur le territoire québécois? Ces capitaux constituent des enjeux importants, parfois essentiels à la vie, tout en donnant du sens à l’expérience des individus. Leur appropriation est susceptible d’apporter aisance, distinction ou, plus modestement, survie au quotidien ou fragile espoir de mobilité sociale. Leur circulation ne se déroule pas dans des espaces sociaux neutres et indéterminés, mais à l’intérieur d’espaces structurés de manière spécifique.
Se présentent en outre, en ces différents champs, des obstacles et des opportunités; s’y nouent des rapports de force et d’exploitation : exploitation des ressources, exploitation du travail, marginalisation de populations jugées déviantes. De ce fait, deux objectifs découlent de notre interrogation principale : identifier de quelle manière les individus, familles, groupes sociaux et organisations mobilisent ou tentent de mobiliser à leur profit ces mêmes capitaux; faire état des résultats en termes de rapports de pouvoir et d’inégalités sociales. Ces deux objectifs traduisent une des ambitions essentielles de la programmation proposée, soit de renouveler la compréhension des divers processus de hiérarchisation qui marquent l’espace-temps Québec : hiérarchie des régions et des écoumènes; hiérarchies sociales et symboliques. Nous postulons que les processus en cause engendrent exclusions et discriminations, étant profondément genrés et racisés. La longue incapacité juridique des femmes mariées, la mise à l’écart territoriale des Premières Nations et la construction discursive et politique de leur incapacité à exercer leur citoyenneté s’imposent d’emblée à l’esprit.
Nos chercheurs se pencheront ici sur les atouts et contraintes du territoire, les secteurs clés que sont l’agriculture, la forêt et la production d’énergie. Ce que les communautés tirent de leur environnement, leur inscription dans les écoumènes, le développement d’habitats particuliers et la production, de ce fait, de nouveaux terroirs recevront aussi une attention toute spéciale. Ces milieux, tant urbains que ruraux, se déclinent en de multiples formes (la paroisse, le rang, le quartier, etc.) auxquelles sont attachés des modes d’habiter, des rapports de sociabilité et des sens. Nous chercherons à cerner la part prise par les élites économiques et les organisations (ex. : corporations industrielles) dans l’exploitation du territoire, sans oublier le rôle changeant de l’État à ce titre. Les modes d’usage et d’appropriation de l’espace seront également interrogés : propriété au sens strict, baux et pratiques communales, notamment chez les Premières Nations. Les rapports de pouvoir à l’œuvre, les exclusions et conflits concomitants ne seront pas négligés.
La recherche sur le très vaste thème des expériences et pratiques familiales continuera à mobiliser bon nombre des membres de notre équipe. Cet axe les verra investiguer les assises matérielles des ménages et lignées, la nature et la combinaison très variables de ces ressources dans la durée et l’évolution des inégalités sociales conséquentes, le tout à la lumière des grandes transformations qui ont affecté le Québec, en particulier à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. Outre le fait que les transformations vécues par les familles et la mobilité de ces dernières sont intimement liées à l’exploitation et au remodelage du territoire et des habitats (axe 1), les contraintes et possibilités expérimentées par les familles varient également à microéchelle, en fonction de l’évolution du cycle de vie familiale, de la structure des ménages et du genre des acteurs familiaux. Ainsi, sur quelles ressources (possessions foncières, force de travail, numéraire, etc.) et agencements variables de ressources prennent appui les ménages? Quelles sont les résultats en termes de mobilité sociale ascendante ou descendante?
Cet axe porte sur les ressources qui, sans être matérielles stricto sensu, n’en constituent pas moins des données fondamentales du vécu des populations et de la manière dont individus, familles et groupes socioculturels cherchent à s’inscrire dans des formations sociales plus vastes. La perspective des réseaux sera ici déclinée dans toute sa diversité, de l’entraide familiale aux clientèles élitaires, en passant par les associations de toutes sortes. Les stratégies de distinction sociale et symbolique seront également au cœur des démarches entreprises dans cet axe, tout comme la dynamique combinant populations, ressources matérielles et capitaux immatériels : sens et représentations attachés au travail ou à la précarité; manière dont les groupes ethnoculturels se représentent et représentent les autres; ancrages et significations du fait religieux dans l’expérience des populations. Il en va de même des pratiques relevant de la culture matérielle, cette culture et ses déclinaisons (les façons d’habiter, de se vêtir, etc.) mettant en cause des combinaisons variables et changeantes de ressources, de technologies et de significations.
Les chercheurs s’intègrent au CIEQ sur la base de trois grands axes de recherche
Ces axes ne sont pas des catégories étanches ou des quasi-équipes à l’intérieur de notre regroupement mais plutôt des priorités dans l’effort de recherche collectif ou, pour le dire autrement, des pôles autour desquels s’ordonnent les échanges et les collaborations scientifiques de tous ses membres.
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